Billet 3 - Les théories de l’apprentissage
Il est juste, je crois, de dire qu'au sein des facultés de droit, au
Canada, l'enseignement fait largement encore appel au cours magistral, et l'affirmation de Resnick (1987) suivant laquelle "[...] constructivist
approaches are used quite frequently in the preparation of lawyers [...] through
the use of apprenticeships and on-the-job training" (cité par Ertmer et
Newby, 2013, p. 59) doit être quelque peu tempérée. Les opportunités pour
l'apprenti sorcier de se pencher sur des cas pratiques, voire des cas réels,
demeurent limitées durant la formation des juristes. Dans la préface de son ouvrage, The New Lawyer, MacFarlane (2008) écrit
:"[s]tudents are still graduating from law school imagining that their
appellate moot court experience is representative of the work they will do in practice"
(MacFarlane, 2008, p. xiii). Bien
que l'objet de son commentaire vise la nécessité grandissante de former les
juristes aux techniques de la négociation, de la médiation et de la résolution
extrajudiciaire des litiges en général; il demeure que l'enseignement du droit s'arrête
généralement aux approches béhavioriste (knowing what) et cognitiviste (knowing
how), telles que décrites par Ertmer et Newby (2013) au chapitre de
l'acquisition du savoir professionnel, et néglige souvent d'introduire une dimension
constructiviste à l'apprentissage "reflection in action"(Schon, 1987,
cité dans Ertmer et Newby, p. 60), plus près de l'expérience professionnelle. La
notion de «connectivisme» quant à elle, dans certains de ses attributs du
moins, n'est pas nouvelle à l'apprentissage du droit. Le plus haut tribunal du
pays rend chaque année en moyenne entre cinquante et soixante-dix décisions,
qui viennent clarifier, modifier, voire changer systématiquement de bout en
bout l'état du droit (un exemple récent est la retentissante affaire R. c.
Jordan, 2016 SCC 27, et le droit d'un inculpé d'être jugé dans un délai
raisonnable); sans compter les lois et les codes qui font constamment l'objet
de modification, parfois d'une réforme en profondeur (un nouveau Code de
procédure civile est entré en vigueur au Québec le 1er janvier 2016). Et les
juristes, qui sont appelés à prendre des décisions suivant l'état des
connaissances juridiques, seront d'accord avec Siemens (2005), lorsqu'il écrit
:"The ability to recognize and adjust to pattern shifts is a key learning
task."(Siemens, p. 4) Depuis une vingtaine d'années, les sources
numériques permettant de fouiller l'état du droit se sont multipliées
(QuickLaw, CANLII, etc.), mais seulement pour remplacer des outils
traditionnels de recherche déjà fort sophistiqués comme les recueils et les
annuaires de jurisprudence, les lois annotées, les tables de jurisprudence et
de législation citées.
Ertmer, P. A. et Newby, T. J. (2013). Behaviorism, Cognitivism, Constructivism: Comparing
Critical Features From an Instructional Design Perspective. Performance
Improvement Quarterly, 26(2), 43-71.
MacFarlane, J. (2008). The New Lawyer. How Settlement is Transforming the Practice
of Law. Vancouver, BC : UBC
Press.
R. c. Jordan, 2016 SCC 27.
Code de procédure civile du Québec, RLRQ, chapitre C-25.01.
Siemens, G. (2005). Connectivism: A Learning Theory For The Digital Age. International Journal of Instructional Technology and Distance Learning, 2(1), 3-10.
La croyance populaire véhicule que la technologie est partout, mais qu’elle tarde à s’installer véritablement dans les écoles. Pourtant, il y aurait « tout lieu de croire que le fait de savoir s’autoformer, s’informer, et communiquer via différentes technologies forme désormais une condition essentielle pour s’adapter à une société en mutation constante et ainsi devenir des acteurs sociaux à part entière » (Karsenti et Bugmann, 2017, p.13). Pourtant, l’enseignement magistral est encore une approche pédagogique très souvent utilisée en stage par les futurs maitres alors que des approches plus actives telles que l’apprentissage par projet, par la découverte, par problèmes ou le traitement de l’information le sont parfois (Tremblay-Wrag, 2013). Par tes propos, il semble bien que ce soit le cas dans le domaine du droit également. Pour moi qui est peu familière à ton contexte, l’image que j’ai d’un expert qui maitrise le métier évolue dans un environnement bien planifié qui laisse peu place à l’erreur et est habile dans l’art de poser les bonnes questions pour obtenir les bonnes réponses ; ce que j’apparente beaucoup au behaviorisme.
RépondreEffacerBates (2015) explique que les exposés demeurent la principale forme d’enseignement et que les professeurs de niveau postsecondaire ne connaissent pas d’autres modèles. Ils y sont habitués et ne sont pas nécessairement formés en pédagogie. De plus, cette pratique du magistral renforcerait le statut d’expert qui possède la connaissance. Pourtant, dans le domaine du droit, comme dans celui de l’enseignement (comme dans bien d’autres !) s’arrêter au knowing what et knowing how nous fait passer à côté d’excellentes opportunités. Bates (2015) invite d’ailleurs à opter pour des méthodes d’enseignement qui permettent aux étudiants de gérer les connaissances plutôt que des méthodes qui ne font que transmettre des informations.
Il semble qu’il reste du chemin à parcourir !
*** Références***
Bates, T. (2015). Teaching in a Digital Age. B. O. Textbooks (Éd.) Repéré à https://opentextbc.ca/teachinginadigitalage/
Karsenti, T. et Bugmann, J. (2017) Une brève histoire des technologies en éducation.. Dans Karsenti, T. et Bugmann, J. (.dir. )Enseigner et apprendre avec le numérique. Montréal: Presses de l'Université de Montréal.
Tremblay-Wragg, Émilie (2013). Conception des étudiants en formation initiale des maîtres du rôle des formateurs universitaires dans leur utilisation d'approches pédagogiques diversifiées en stage. Mémoire. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Maîtrise en éducation. Récupéré de http://www.archipel.uqam.ca/6266/1/M12974.pdf.