Premier billet – La motivation et l'engagement envers les études menant à l'exercice de la profession juridique

Les aspirants aux études en droit, du moins à leurs débuts dans l'apprentissage des sciences juridiques, sont généralement motivés. Les programmes, à une époque certainement, étaient relativement contingentés. Dans les juridictions de Common Law — et c'est encore le cas aujourd'hui—, on exigeait la réussite d'un examen de logique, le LSAT (Law School Admission Test). La note moyenne cumulative des études antérieures (Under Graduate Point Average, le UGPA pour son acronyme en anglais) était prise en compte lors de l'admission (Bilek, 2013). Et, à l'instar des étudiants qui dans d'autres disciplines atteignent le deuxième ou le troisième cycle, les apprenants arrivent à la faculté de droit avec un bagage de motivation, à la fois intrinsèque et extrinsèque (Ryan et Deci, 2000; Pirot et De Ketele, 2000). Hélas, la route encore est longue avant de voir son nom inscrit au Tableau de l'Ordre, et l'obtention de la licence autorisant l'exercice de la profession. Trois années au baccalauréat spécialisé, une année scolaire complète à l'École du Barreau et l'épreuve des examens d'admission à la profession, puis, enfin, six mois de stage dans un bureau d'avocats. Depuis des décennies, des études publiées dans le monde anglo-saxon ont fait état de l'écart (Gap) entre le cursus de la faculté de droit et la pratique en situation authentique (MacCrate, 1992). Cet écart —ou cette distance— est une source de frustration pour les praticiens, comme pour les aspirants à la pratique active, qui remettent en question la pertinence d'une approche pédagogique axée trop souvent encore sur un apprentissage purement théorique des sciences juridiques (Sullivan, 2007). Un écart susceptible de miner la motivation des apprenants anxieux d'expérimenter leurs aptitudes dans une situation professionnelle authentique. Pour y pallier, des études suggèrent une utilisation accrue des nouvelles technologies de l'information et des communications dans l'enseignement du droit (Bilek, 2013). D'autres militent en faveur de la nécessité d'un changement de cap radical dans la préparation des aspirants à la profession juridique, depuis l'avènement de technologies telles que l'intelligence artificielle et son application imminente au monde juridique (Fenwick, Kaal, et Vermeulen, 2017). L'objectif, qui vient d'emblée à l'esprit, est de tenter de réduire —à défaut de l'éliminer— cet écart, entre l'apprentissage qui se fait dans les auditoriums de la faculté de droit d'une part, et la pratique en situation authentique.
            Dans leur étude, Eom et Ashill (2016) concluent que l'enseignant, dans un contexte de formation à distance, peut jouer un rôle prépondérant dans la motivation et l'engagement des apprenants : «[...] several [Critical Success Factors] of online education considered are either instructor centric parameters (instructor and course design) or parameters that can be enhanced by the input of instructors (instructor-student dialogue, student-student dialogue, self-regulation, and intrinsic motivation)» ( p. 204). Et un premier moyen à envisager, pour susciter (ou maintenir) la motivation des apprenants, et s'assurer de leur engagement dans le programme des sciences juridiques, serait d'y intégrer des modules en ligne favorisant l'expérience d'un apprentissage proche d'une situation professionnelle authentique (Hedberg et Alexander, 2006 cités dans Viau, s.d.). Dewhurst (2012) recense plusieurs ressources numériques utiles à l'enseignement du droit en ce sens, et pointe, entre autres, vers des fonctionnalités de la plate-forme Moodle pour reproduire à distance la traditionnelle méthode des cas (Case Dialogue Method), au moyen de la fonction Language Lab qui permet l'échange de questions et de réponses avec l'étudiant, en version audio ou vidéo.
            Ceci nous amène au concept de rétroaction (Rodet, 2000; Kozanitis, s.d.), un deuxième moyen à préconiser pour susciter (ou maintenir) la motivation des apprenants, et s'assurer de leur engagement dans le programme (Ryan et Deci, 2000). L'utilisation des fonctionnalités communicationnelles d'un environnement numérique d'apprentissage (ENA) et les approches pédagogiques actives permettent de multiplier les possibilités pour l'enseignant de mettre en place une structure pédagogique (Moore, 2013) permettant de rétroagir (Ryan et Deci, 2000; Rodet, 2000; Kozanitis, s.d.) sur le cheminement de l'apprenant, et pour l'apprenant de s'engager dans un dialogue (Moore, 2013), non seulement avec l'enseignant, mais aussi avec les pairs (Kozanitis, 2015).
            Enfin, et il s'agit d'un troisième moyen pour ne pas s'écarter de l'expérience authentique, et de toujours maintenir la motivation et l'engagement, soit de favoriser, beaucoup plus tôt dans le cheminement de la formation juridique, les contacts entre les apprenants et de vrais professionnels du métier. Des rencontres ou des entrevues par exemple, diffusées sur l'ENA, avec des avocats et des avocates en pratique active, qui viennent candidement discuter des véritables facettes de la pratique du droit, dans divers domaines des sciences juridiques, permettraient aux apprenants de socialiser en quelque sorte avec la profession, et de développer envers elle un sentiment d'appartenance (Wigfield et Eccles, 2000).  

Sources :


Bilek, M. L. (2013). Twenty Years After the MacCrate Report: A Review of the Current State of the Legal Education Continuum and the Challenges Facing the Academy, Bar, and Judiciary. Récupéré de https://www.americanbar.org/content/dam/aba/administrative/legal_education_and_admissions_to_the_bar/council_reports_and_resolutions/june2013councilmeeting/2013_open_session_e_report_prof_educ_continuum_committee.authcheckdam.pdf

Dewhurst, D. (2012). The Case Method. Law School Learning Outcomes and Distance Education. Canadian Legal Education Annual Review, 6 (59).

Eom, S. B., Ashill, N. (2016). The Determinants of Students’ Perceived Learning Outcomes and Satisfaction in University Online Education: An Update. Decision Sciences, 14 (2), 185-215.

Fenwick, M., Kaal, W. A. et Vermeulen, E. (2017). Legal Education in the Blockchain Revolution. Vanderbilt Journal of Entertainment Technology Law 20(2), 351-384.

Moore, M. G. (2013). The Theory of Transactional Distance. Dans M. G. Moore (dir.), Handbook of Distance Education (p. 66-85), New York : Routledge.

Pirot, L. et De Ketele, J. (2000). L'engagement académique de l'étudiant comme facteur de réussite à l'université Étude exploratoire menée dans deux facultés contrastées. Revue des sciences de l’éducation, 26(2), 367–394.

Kozanitis, A. (2015). La relation pédagogique au collégial. Une allée vitale pour la création d'un climat de classe propice à la motivation et à l'apprentissage. Pédagogie collégiale, 28 (4), 4-9.

Kozanitis, A. (s.d.). La rétroaction : outil d’information, de formation et de motivation. Bureau d'appui pédagogique. École polytechnique.

MacCrate, R. (1992). Legal Education and Professional Development - An Educational Continuum.

Ryan, R. M. et Deci, E. L. (2000). Intrinsic and Extrinsic Motivations: Classic Definitions and New Directions. Contemporary Educational Psychology, 25 (1), 54–67.

Sullivan, W. M. (2007). Educating Lawyers : Preparation for the Profession of Law (First edition éd.). Stanford, CA : The Carnegie Foundation for the Advancement of Teaching.

Viau, R. (s.d.). 12 questions sur l’état de la recherche scientifique sur l’impact des TIC sur la motivation à apprendre, TECFA, Université de Sherbrooke, http://tecfa.unige.ch/tecfa/teaching/LME/lombard/motivation/viau-motivation-tic.html.

Wigfield, A. et Eccles, J. S. (2000). Expectancy–Value Theory of Achievement Motivation. Contemporary Educational Psychology, 25, 68–81.

Commentaires

  1. Mes dernières années en milieu collégial et en milieu universitaire m’ont permis de constater un écart entre les différentes approches utilisées en enseignement supérieur. En effet, au collégial, les enseignants utilisent l’approche par compétences où les étudiants doivent appliquer un ensemble de savoir, savoir-faire et savoir-être dans des situations authentiques pour démontrer qu’ils maîtrisent ce qui leur ait été enseigné, alors qu’à l’université, beaucoup d’enseignants utilisent encore l’approche magistrale où chaque notion est vue de manière segmentée et les étudiants doivent faire appel à leur mémoire pour démontrer qu’ils ont acquis les savoirs enseignés.

    Ce constat rejoint votre propos et m’amène également à me questionner régulièrement sur l’approche qui devrait être préconisée en enseignement universitaire. Devrions-nous rester dans la transmission de connaissances en vue de développer un esprit critique ou privilégier l’application des connaissances dans des situations liées à la pratique et à la profession ? Quel est le rôle de l’université ? Est-il en pleine transformation ?

    Donnison et Penn-Edwards (2012) apportent une nuance qui nous amène à prendre un certain recul avant de pouvoir nous prononcer.

    Lorsqu’ils arrivent à l’université, les étudiants sont à un niveau conceptuel et commencent à peine à pouvoir expliquer comment ils apprennent. Ils sont capables d’apprentissage en surface.

    Selon Donnison et Penn-Edwards (2012), l’apprentissage en surface se caractérise de la manière suivante :
    - Ce type d’apprentissage requiert un minimum d’effort
    - Les connaissances ne sont pas interreliées
    - L’étudiant reproduit le contenu étudié au lieu de rechercher le sens
    - L’étudiant mémorise par routine
    - L’étudiant étudie sans but ni stratégie
    - L’étudiant a peu d’échouer, il sent de la pression indue et de l’anxiété face à une tâche

    Au fur et à mesure que les étudiants cheminent dans leur cursus universitaire, ils comprennent le processus d’apprentissage, deviennent autonomes dans leurs études, comprennent les connaissances disciplinaires et deviennent compétents dans la construction de la connaissance (Donnison et Penn-Edwards, 2012). Ils apprennent graduellement à utiliser l’apprentissage en profondeur pour donner du sens à ce qui leur est enseigné et par le fait même à transférer ce qu’ils ont appris dans des situations authentiques.

    J’en arrive donc à la conclusion qu’il faut y aller de manière graduelle. Les étudiants doivent avoir accès à des connaissances de base pour articuler leur pensée et leur discours lorsque vient le temps de les appliquer en situation authentique. Il faut les accompagner et les outiller pour les amener à donner du sens à ce qu’ils apprennent. Si l’apprentissage est en lien avec la pratique et la profession, il sera d’autant plus valorisé (Donnison et Penn-Edwards, 2012) et les étudiants s’y engageront davantage. Le rôle des enseignants est donc d’amener les étudiants à apprendre à apprendre dans divers contextes, tout au long de leur vie, peu importe les connaissances et les situations qui leur sont présentées.

    Référence
    Donnison, S. et Penn-Edwards, S. (2012). Focusing on first year assessment: Surface or deep approaches to learning? The International Journal of the First Year in Higher Education, 3(2), 9 20. doi:10.5204/intjfyhe.v3i2.127

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